Voyage pour Clon'sil
Voyage pour
Clon’sil.
Ils
s’étaient arrêtés en pleine nuit, lorsque Matthéo et Axel affirmèrent qu’ils
étaient trop fatigués pour continuer. Enzo avait jugé les lieux. Inspectant un
grand chêne en s’imaginant pouvoir s’abriter en dessous, il finit par céder aux
plaintes des deux adolescents et leur demanda d’aller vérifier qu’il n’y avait
personne autour. Il s’accroupit ensuite devant le tronc puis déposa en douceur
la ‘petite sœur’ endormie. Cette dernière n’avait pas réussi à tenir aussi
longtemps qu’eux. Et même si elle ne s’était pas plainte une seule fois, le
jeune homme avait bien remarqué qu’elle avait du mal à marcher et qu’elle
n’avait vraiment pas l’habitude de tant d’efforts physiques. Ce qui était
normal, puisqu’elle ne prenait pas de cours d’escrimes. Il lui avait donc dit
de dormir un peu pendant qu’il la transporterait sur son dos, ce qu’il fit.
Nala ouvrit les yeux, réveillée par le changement de contact.
- « Rendors-toi, nous nous
arrêtons là. Tiens, couvres-toi, il ne fait pas chaud. »
Enzo
sortit de son sac une couverture qu’il lança à la jeune fille, puis il en
sortit deux autres qu’il déposa à coté d’elle pour les deux garçons.
- « Tu n’en a pas ? » Demanda l’adolescente en se redressant. Elle se
frotta les yeux, encore à moitié endormie, puis interrogea le chevalier du
regard.
- « Je n’avais pas prévu que
Matt’ serait avec nous. » Répondit-il
simplement.
- « C’est pas un
problème. » Fit la voix
d’Axel, revenant avec le blondinet. « Je
vais me coller à Nala ! » - Il tourna la tête vers la personne en
question, puis lui lança un regard malicieux en ajoutant - « Mes grands et puissants muscles te réchaufferont !
- Si tu veux. » Pouffa la jeune fille en ouvrant le duvet. Enzo
approuva et déploya une couverture. Il s’éloigna un peu pour s’assoir dos à un
tronc, puis détacha la ceinture de son épée pour la poser devant lui, prêt à la dégainer. Il regarda Matthéo
enlever ses chaussures, tandis qu’Axel jouait au vantard en donnant sa veste et
sa chemise à Nala en prétextant qu’il n’avait pas froid. En vérité, c’était
surtout parce qu’il aimait montrer ses ‘puissants muscles’ aux personnes autour
de lui. Il se retourna lorsque son frère ricana.
- « T’es jaloux
hein ? » S’exclama-t-il
en bombant le torse.
- « Au moins je ne serais pas
malade demain. » Répliqua le
chevalier avec autant d’ardeur.
- « Allez avoue que j’ai un
corps de rêve ! Viens faire un bras de fer !
- Avec toi ? Tu rêves. »
Mais
Axel s’approcha à grands pas et se mit à genoux devant son frère, un coude au
sol et une main levée vers lui. Enzo poussa un soupir et finit par dégager un
bras de la couverture pour se mettre dans la même position. Il prit la main de
l’adolescent, puis ils comptèrent jusqu’à trois. Le jeune garçon poussa de
toutes ses forces, faisant ressortir les veines de son bras. Il réussit à faire
pencher le bras de son frangin, mais ce dernier le redressa aussitôt. Le
chevalier esquissait un sourire confiant, il ne semblait pas forcer plus que
cela. Axel poussa davantage, jusqu’à devenir rouge.
- « Quoi, c’est tout ce dont tu
es capable ? » Le
provoqua Enzo.
-
« Att.. J’vais te… » Bredouilla
le garçon en posant son autre main au sol pour se donner plus de force. Il
mourrait d’envie de s’aider de ses deux bras, mais savait pertinemment que
c’était de la triche. Finalement, son frère décida d’écourter cette bataille,
et Axel vit le dos de sa main plaquée au sol en un rien de temps. Il massa son
poignet douloureux et grommela des prétextes à cette défaite.
- « Ouais mais tu t’es échauffé
tout à l’heure…
- Au lieu de dire des bêtises, va te
coucher. Matt’, tu prends le premier tour. Je pendrais le second et Axel
finira. » Ordonna Enzo en se
recouvrant à nouveau.
- « Eh pourquoi je prends le
dernier ? » Protesta
Axel en posant ses deux mains sur ses bras pour se réchauffer. Ce fut Nala qui
répondit à sa question, l’attendant toujours dans le duvet.
- « Parce que le second est le
plus difficile, alors estimes toi heureux de ne pas avoir ce tour de garde.
Allez, viens !
- Retient un peu tes leçons, même
Nala qui ne prend pas de cours d’escrime le sait ! » Le réprimanda le chevalier. L’adolescent grommela
quelque chose puis il s’allongea à coté de son amie. Cette dernière l’observa
un instant.
- « Tu a froid ? » Demanda-t-elle en lui tendant sa veste.
- « Non. » Répondit-il simplement, ce qui provoqua un soupir
chez la jeune fille. Il avait la chair de poule ! Mais il ne risquait pas
de l’admettre. Nala se rapprocha de lui et se leva pour poser le haut de son
corps sur le torse du garçon.
- « Moi j’ai froid.
Réchauffe-moi s’il te plaît. » Lui
murmura-t-elle. Elle savait qu’en demandant cela, il ne la repousserait pas.
Sinon il comprendrait qu’elle s’était mise ainsi pour le réchauffer, lui, qui
n’avait jamais froid ! La tête posée dans le creux du cou du garçon, elle
ferma les yeux en se laissant bercer par le rythme régulier de son souffle. Il
l’entoura de ses bras, et la serra contre lui en veillant à ce que la
couverture reste sur elle.
Le
blondinet vint s’installer à coté d’Enzo pour adopter la même position que lui.
Les genoux repliés contre sa poitrine, enveloppé dans son duvet, il lui
demanda.
- « Tu ne dors pas ?
- Si si… Au moindre bruit, tu me
réveilles.
- D’accord. »
Le
jeune Eyen passa une main dans ses cheveux pour dégager les mèches qui
retombaient devant ses yeux. Il scruta les horizons et tendit l’oreille pour
son premier tour de garde. Il n’était pas tellement fatigué, donc ce serait
facile. Il savait que le chevalier était toujours éveillé à coté de lui. Ce
dernier gardait les yeux grands ouverts. Il mit du temps avant de laisser enfin
Matthéo surveiller seul, pour sombrer dans un cauchemar lui rappelant l’homme
qu’il venait de tuer.
…
Axel
entamait le dernier tour de garde. Il avait remit sa chemise et sa veste, et
s’était perché sur une grosse et haute branche d’un arbre pour avoir tout le
petit groupe dans son champ de vision. Il jouait avec un bâton trouvé au sol,
comme si c’était une épée. Oh comme il regrettait de ne pas en avoir une !
Même en bois, elle lui aurait amplement servi à se défendre. Là, tout ce qu’il
possédait étaient ses poings. Contre une lame, cela ne valait pas grand-chose.
Lorsque son frère était venu le réveiller, il n’avait pas cessé de râler en
pensant que la nuit venait à peine d’être entamée et qu’on lui faisait une
mauvaise blague. Et en voyant le visage fatigué d’Enzo, il se leva d’un bond,
déjà prêt à entamer son tour de garde. Alors qu’il s’imaginait combattre un
membre du clan Firel, un petit bruit le fit sursauter. Il se mit à cheval sur
sa branche et brandit son bâton sur la silhouette qui l’approchait… Avant de se
rendre compte qu’il s’agissait de Nala qui grimpait à l’arbre. Il n’avait même
pas fait attention, au point de ne pas la voir sortir de sa couverture pour se
diriger vers son arbre ! Mais elle ne fit aucune réflexion là-dessus, se
contentant de s’assoir à coté du futur chevalier.
- « Tu devrais aller te
recoucher, et profiter que tu sois une fille !
- Justement, ce n’est pas parce que
je suis une fille que je ne peux pas résister à la fatigue. Regardes toi, tes
paupières se ferment toutes seules. » Murmura-t-elle.
Axel
ne répondit pas, sachant qu’elle avait raison. Mais lorsqu’elle lui proposa de
prendre la relève, il refusa catégoriquement. C’était son tour, et il n’était
pas question que Nala le remplace à cette corvée ! La demoiselle
croisa les jambes au dessus du vide sans éprouver le moindre vertige. Voulant
la serrer contre lui, le futur chevalier toucha son épaule de la sienne, mais
se redressa en apercevant une grimace sur le visage de son amie. La rouquine
tourna la tête vers lui, puis se rendit compte qu’il avait vu la tête qu’elle
venait de faire. Elle regarda alors autre part, puis commença à se relever sur
la branche pour descendre. Mais Axel l’attrapa au bras et la força à rester
assise.
-
« Tu as mal ? » Demanda-t-il
sur un ton soucieux.
-
« Non, je n’ai rien. Pourquoi cette
question ? »
Bien
qu’elle veuille mentir sur sa douleur à l’épaule, elle n’empêcha pas le garçon
de tirer légèrement sur le col de sa chemise pour découvrir son épaule nue.
Malgré l’obscurité qui régnait, le garçon vit clairement sur la peau de la
jeune fille, un énorme bleu regorgeant de sang, qui recouvrait l’épaule de
Nala. Le souvenir de la manière dont il l’avait frappé quelques heures plus tôt
lui revint en tête. C’était lui, l’auteur de cette blessure, lorsque la
rouquine n’était pas dans son état normal.
- « Ne fais pas cette tête,
Axel, ce n’est rien.
- Tu rigoles ? Bon sang j’y ai
été trop fort, pardonne moi !
- Puisque je te dis que ce n’est
rien ! » S’exclama la
demoiselle avant de recouvrir à nouveau son épaule du haut de sa robe. Axel
baissa la tête comme un enfant honteux, balançant ses jambes dans le vide en
réfléchissant. Un lourd silence s’installait entre eux, laissant le soin à la
jeune fille de ramener ses pieds sur la branche pour blottir ses genoux contre
sa poitrine. Elle sentit la main de son ami lâcher son bras, puis en profita
pour entourer ses genoux. Après tout, elle n’avait pas si mal.
…
Enzo
se réveilla en sursaut, une main sur la garde de son épée. Il regardait autour
de lui d’une manière effarée, son torse ruisselant de sueur. Ses bras étaient
tendus en dessous de lui, soulevant son corps. Il était sur le point de se
relever et de se battre, avant de se rendre compte que tout était calme autour
de lui. Son cœur battait la chamade, mais il inspira bruyamment plusieurs
longues bouffées d’air pour se calmer.
-
« Ca ne va pas ? »
Les
cheveux en pagaille du jeune adulte se levèrent vers les deux visages tournés
vers lui. Il regarda un instant Matthéo en face, puis Nala perchée sur une
branche d’un arbre, à quelques mètres de hauteur.
- « Un simple cauchemar.. »
Marmonna le chevalier en se
mettant à quatre pattes sur son duvet. Il ne savait pas comment il s’était
retrouvé torse nu, alors qu’il s’était couché avec une chemise sur le dos pour
ne pas avoir froid. Il se massa les yeux pour reprendre calmement ses esprits,
et chasser l’image de Richard de sa tête. Les premières nuits d’un nouvel
assassin étaient toujours les pires.
- « Où est Axel ? » Demanda-t-il en levant son regard sur Nala. Cette
dernière montra du doigt la tête du jeune inconscient endormi sur ses cuisses.
La poitrine affalée sur la branche, avec les bras et les jambes qui pendaient
de chaque coté dans le vide. La rouquine caressait doucement les cheveux du
futur guerrier en même temps qu’elle observait de haut les agissements de
Matthéo. Ce dernier s’était levé assez tôt, en pleine forme pour aller vérifier
qu’il n’y avait personne dans les parages. Il avait également rangé tous les
duvets, sauf celui d’Enzo.
- « Axel ! Bon, je vois
qu’on peut lui faire confiance. » Lâcha sévèrement le chevalier d’une voix forte, ce qui eut pour effet
de réveiller le garçon en question. La première chose que fit Axel en ouvrant
les paupières, fut de s’exclamer :
- « Non je ne dors pas ! Je
ne dormais pas ! »
Il
battit des bras en sentant le vide sous lui, puis bascula sans le vouloir sur
le coté en criant de surprise. Nala se mit aussitôt à cheval sur le bois pour
tenter de le rattraper, mais le garçon était suspendu à quelques mètres au
dessus du sol, avec pour seul sauveur son réflexe d’avoir agrippé la branche de
ses bras. Enzo poussa un juron étouffé, puis vint se placer en dessous de son
frère. Il leva un bras et ordonna.
- « Lâches ! »
Confiant,
le jeune garçon se laissa tomber et sentit soudainement la pesanteur autour de
lui s’affaiblir. Comme s’il devenait subitement léger, il tomba avec beaucoup
plus de lenteur que prévu et se rattrapa sans problème sur ses jambes.
- « Euh, merci. » Murmura-t-il à son frangin. Ce dernier avait le don
de ralentir ou amortir les chutes, que ce soit les siennes ou celles des
autres. Il pouvait ainsi affaiblir la pesanteur autour d’un individu pour lui
permettre de tomber beaucoup plus lentement.
- « Tu imagines que nous serions
morts, si un danger nous guettait !? » S’écria le chevalier en levant les bras.
-
« Nala est restée éveillée, elle
surveillait. » Le défendit le blondinet, en lançant un regard inquiet
vers son ami. Axel gardait les mains dans le dos, la tête baissée. Il se
sentait honteux d’avoir fermé les yeux lors de son tour de garde, mettant ainsi
le groupe en danger si la jeune fille qui les accompagnait ne l’avait pas
remplacé. Il avait l’impression qu’elle cherchait toujours à lui alléger ses responsabilités,
alors que lui était à la recherche de défis difficiles. Mais le plus gênant
était cette perte d’estime venant de son frère, à son égard. Il détestait cette
désagréable impression d’avoir déçu l’un de ses proches. Enzo préféra néanmoins
passer l’éponge, et plia son duvet pour le ranger dans le sac. Il en sortit la
sacoche de l’œuf pour libérer de la place et la tendis à Nala. L’adolescente
descendit de l’arbre en posant les pieds sur les morceaux d’écorces qui
ressortaient, puis elle sauta à terre pour récupérer son objet.
-
« Es-tu obligée de garder
ça ? » Demanda le chevalier en se redressant.
-
« Je ne peux pas l’abandonner, je
sais que la créature à l’intérieur est vivante, parfois je la sent bouger…
Peut-être même qu’elle sent notre présence, si je la laisse elle se fera
dévorer. » Répondit Nala en serrant l’œuf contre elle. Une autre
raison animait aussi son désir de garder cette coquille auprès d’elle. Depuis
quelques temps, plus précisément depuis qu’elle sentait parfois une créature remuer
à l’intérieur, elle avait la sensation d’être étonnement proche de l’œuf. Le
devoir de le protéger était plus fort en elle, et elle ne savait dire si
c’était quelque chose de magique, ou si c’était chez elle l’instinct maternel
qui était s’éveillée plus tôt que prévu.
-
« Bon, tant que tu le porte, ça ne
me pose pas de problème. En route les jeunes. » Conclut le chevalier
en prenant la direction d’un petit chemin de terre, le sac sur son dos.
-
« Une fois là bas, qu’est-ce qu’on
fera ? » Demanda son frère
en prenant la seconde position.
-
« On les préviendra… Et on priera
pour qu’ils réagissent.
- Parce que ce n’est pas sûr ?
- Je ne sais pas. La forteresse de
Clon’sil est réputée pour sa puissance, mais pas pour ses agissements… Il s’agit
du meilleur centre d’entraînement pour guerriers, mais rares sont ceux qui y entrent,
Et ceux qui en sortent ne sont pas nombreux non plus. Est-ce qu’ils voudront se
déplacer pour sauver les nôtres ? Je l’ignore, mais il leur serait plus
logique de rester et d’attendre l’ennemi de pied ferme. Peut-être
feront-ils quelque chose avec la lettre de papa… »
Le
garçon devint pensif un court instant. Pourquoi la lettre de son père les
ferait réagir ? Cette cause devenait de plus en plus perdue à ses yeux, et
il commençait à regretter de ne pas avoir fait demi-tour pour tenter de libérer
le reste de sa famille, et des autres chevaliers. Savoir son idole entre quatre
murs le désespérait. Si même son propre père s’était fait prendre, que
pouvait-il faire, lui, l’adolescent de quatorze ans ? Oh mais il n’était
pas seul pourtant. Un blondinet plus petit en taille qui pouvait savoir d’un
premier coup d’œil si la personne mentait ou non. Il est clair que cela lui
serait très efficace durant un combat, de savoir si la personne est honnête ou
non. Et Nala était là aussi. Pour risquer de se laisser envahir par une autre
personnalité s’il arrivait quelque chose à Axel. Le seul guerrier potable dans
le groupe était Enzo. Axel n’avait même pas de don ! Du moins, il ne s’était
pas manifesté. Inutile de dire à quel point il n’en était pas fier. Il
jalousait presque les dons des autres, mêmes les plus futiles, parce que le
sien ne s’était pas manifesté. Cependant, il se demandait parfois si son talent
spécial n’avait pas un rapport avec le fait qu’il réussisse à repousser les
autres personnalités de Nala ? Mais là, quel rapport y avait-il avec le gêne
de sa famille ?