Sous un ciel noir.
C’était un de
ces temps qui obligeait mêmes les plus inconscients à rester chez eux. Des
rafales qui emportaient tuiles, branches, déchets et autres projectiles
dangereux dans les airs. Sous une couette mœlleuse, sous un toit protecteur,
derrière une vitre brouillée par la pluie, devant une table surmontée d’un jeux
de société, en attendant que la tempête passe… Les habitants étaient inquiets.
Non, bien sûr, ils n’avaient pas peur pour leur vie. Ils avaient confiance en
cette météo, mais le doute les rongeait, que pouvait-il se passer du coté des
déclencheurs ? Il s’agissait là de Satlan, c’était sûr. Seul lui était
capable d’autant de dégâts, mais il était d’ordinaire sage, calme, posé… Son
caractère coïncidait mal avec son don, justement pour offrir à ces gens un
soleil radieux en échange de leur sourire et surtout de leur permission
d’habiter dans leur si belle ville. Il était maire, il était respecté, connu
par tous, mais que voulait dire ce temps ?
Dans une des
chaumières, un petit garçon était blotti contre sa mère, tressaillant à chaque
coup de tonnerre.
_ « Maman… Quand est-ce que ça va
s’arrêter ? »
_ « Bientôt mon chéri,
bientôt… » Répondait-elle
en levant un regard craintif vers la fenêtre noircie par la nuit.
Le silence pesait
dans toutes les demeures, qu’elles soient petites ou grandes, remplies ou non,
joyeuses ou pas. Tous les sourires avaient disparu, tout rire s’était évanoui,
ayant fais place à une attente insoutenable.
Nous sommes à
Sylivia, florissant village non loin de la cité de Klain, capitale du pays de
Homyat. Le Homyat est en vérité une
immense île dont les rares explorateurs qui tentèrent de traverser l’océan pour
savoir s’il y a d’autres terres, ne purent jamais revenir raconter ce qu’ils
ont vu… Cet endroit est composé de familles ressemblant à des clans, gardant
jalousement un secret pourtant connu de tous. Chaque famille possède une
particularité, particularité qui offre un don à chaque membre. Ces dons sont
souvent différents, mais toujours lié à la même base que le frère, la sœur, le
père, la mère, l’oncle ou la tante. Certaines familles eurent de la chance car
leur pouvoir héréditaire leur était bénéfique, d’autres n’y voyaient pas grande
utilité. Etant bien plus aptes à étudier cet étrange phénomène qui
différenciait les êtres, la technologie avança bien lentement dans ce monde.
Pas de machine, sauf pour quelques jaloux égoïstes qui bénéficièrent d’un
cerveau surdéveloppé comme héritage de leurs ancêtres. Cet univers est en
quelque sorte médiéval, avec quelques armes à feu, mais les batailles se
faisaient par arme blanche. Bataille, lorsqu’il y en avait bien sûr, car toutes
sortes de lois, de règles établies pour le bien de tous empêchent les nombreux
conflits qui pourraient déclencher une guerre de clan. Qui dit guerre de clan, dit aussi alliés,
alliés d’alliés, et donc guerre générale.
Revenons dans ce
beau village ravagé par un temps destructeur. La cause se trouvait directement dans une maisonnette, où des cris
d’homme et de femme ainsi que des pleurs d’enfant retentissaient.
_ « Pardon ! Pardon… pardonne
moi… » Suppliait
une mère, agenouillée devant un homme d’une trentaine d’année. Il avait dans sa
main droite une épée ensanglantée, et la gauche tripotait nerveusement le col
de sa chemise. Le visage ferme, les yeux embués de larme, il levait son arme et
hésitait à l’abattre sur cette pauvre dame qui lui demandait pardon.
_ « Satlan… Arrête. » Murmura une autre voix féminine à coté de
lui.
_ « Si je ne le fais pas… Elle
risque de faire encore du mal. » Répliqua t-il sur un ton sec, la gorge enrouée
par le stress.
Il avait de
sombres cheveux coupés courts, et le regard tout aussi noir. Tournant la tête
vers son épouse, il reposa ensuite les yeux sur la pauvre femme, la jaugeant de
toute sa carrure de chevalier. Finalement, il baissa sa lame de manière
résignée.
_ « Merci… merci… » Chuchotait la victime en pleurs. Elle
tenait fermement la jambe du maire pour l’y embrasser. Celui-ci s’abaissa, il
posa bravement sa main sur l’épaule de la mère.
_ « Ellena, relève toi. » Ordonna t-il sur on ton doux.
Elle s’exécuta
aussitôt, ses mains attrapant le bras du guerrier pour y chercher réconfort.
Dehors, le tonnerre s’éloignait petit à petit en même temps que le cœur du
mercenaire se calmait. Ellena colla son front contre l’épaule de Satlan, elle
ne pouvait stopper les larmes qui coulaient le long de ses joues. L’homme
regarda un instant sa femme. Celle-ci semblait totalement désemparée. Elle
tenait dans ses bras le corps inerte d’une petite fille d’à peine deux ans et
demie…
_ « Nous n’aurions jamais du
venir. Nous le savions ! »
Le poing du
guerrier se serra. Il sentait sa vision devenir floue à cause des larmes
salées. Préférant détourner le regard de sa défunte fille, il posa ses iris
noirs sur le corps d’un autre homme, qui baignait dans une mare de sang. Il
avait été l’époux d’Ellena, et Satlan n’avait eu d’autre choix que de le tuer…
_ « Ne la tue pas, il y a forcément
une autre solution papa… » Fit
un jeune garçon de douze ans, qui fixait son père avec les mêmes yeux, mais un
air effrayé en plus. Il tremblait de tout son corps, sa main serrant fort celle
de sa mère.
_ « Ellena, cesse de t’excuser, je
sais bien que tu n’y es pour rien. » Lâcha le mercenaire, avec de la rancune dans la voix. Il ne
devait pas en vouloir à cette femme, mais c’était pourtant la faute de son mari
et d’elle s’il venait de perdre sa petite fille ce soir là… La veuve leva un
regard rougi par ses pleurs. Elle lança au maire un air empli de gratitude pour
la laisser vivre. Elle le lâcha doucement, décidant de partir, de sortir de
leur vie et de les laisser à jamais, lorsque ses yeux bleus virèrent au rouge.
_ « Papa attention ! » Cria le petit Enzo en se blottissant
contre sa mère.
Le guerrier
poussa un cri de douleur en sentant la dentition de celle qu’il venait
d’épargner le mordre plus que sauvagement à l’épaule. Il leva son arme, et la
frappa avec. Après le premier coup qui visait à ce qu’elle le lâche, il
s’avança d’un pas décidé et planta son épée dans le cœur de l’assaillante.
_ « Pardon Ellena… » Murmura t-il lorsque les iris de sa
victime retrouvaient leur couleur naturelle. Elle s’agenouilla, crachant du
sang par la bouche. La tête levée vers son agresseur, elle souffla.
_ « Ne la tue pas… ne… tue pas ma…
fille… »
Elle se mit
ensuite à tousser, puis s’écroula, morte. Sa fille ? Satlan l’avait complètement oublié ! Lorsqu’ils
étaient arrivés, elle était pourtant là, même qu’elle était montée jouer avec…
son deuxième fils !
_ « AXEL ! » Hurla l’homme en courant vers les marches
pour les monter quatre par quatre. Sans même prendre le temps de savoir si elle
était ouverte, il défonça complètement la porte d’une chambre fermée, puis se
précipita dans la pièce en lançant des regards affolés partout. Pourvu qu’il ne
lui soit rien arrivé…
Des pleurs
attirèrent son attention dans un des coins les plus sombres. Un coup de
tonnerre plus fort que les autres éclaira un court instant une couverture
tremblante. Le mercenaire s’avança avec prudence vers la source du bruit.
Il tendit la main, puis dégagea subitement la
couette d’un revers de bras, provoquant un sursaut sur chacun des deux êtres
qui se tenaient en dessous, serrés l’un contre l’autre, se tenant la main pour
se réconforter. Une petite fille, et un petit garçon du même age, quatre ans. Ils
regardaient tous les deux avec crainte le chevalier, retenant leur respiration
en attendant de voir ce qui allait leur arriver.
_ « Axel ! » Bredouilla Satlan, soulagé de voir son
enfant en vie. Il laissa son épée fracasser le sol en bois, puis tomba à
genoux. Axel lâcha la main de son amie et se jeta dans les bras de son père
pour se consoler. Sa mère ne tarda pas à se montrer, accompagnée d’Enzo.
_ « Oh Axel tu es là ! » S’exclama t-elle pour accueillir dans ses
bras l’enfant qui venait de lâcher son père. Ce dernier resta agenouillé sur le
sol. Il ramassa son épée et posa son regard sur l’autre personne silencieuse.
_ « Que vas-tu faire ? » Demanda son épouse.
Il ne répondit
pas, se contentant de lancer un regard méfiant à cette petite fille, qui
gardait les genoux collés à sa poitrine et qui observait les gens autour avec
inquiétude.
_ « Je n’ai pas le choix… Elle aussi
est maudite. » Fit
le chevalier sur un ton nerveux et hésitant. Il leva doucement sa lame au
dessus de la fillette, puis attendit. Une seconde, puis deux…
_ « Je… je peux pas… »
Son épée tomba
sur le sol dans un fracas assourdissant, effrayant davantage la petite qui
plaqua ses mains sur ses oreilles. Elle répétait des « s’il vous
plaît… » en regardant le sol, tête baissée. Axel se dégagea de l’étreinte de sa mère pour
venir se placer entre son père et la fille.
_ « C’est ma seule copine. » Lâcha t-il sur un ton plaintif, le regard
triste.
Satlan le
regarda un instant, la bouche entrouverte. Il tenta de parler, mais aucun son
ne sortit. Lâchant un long soupir, il prit son fils dans ses bras puis se
releva. Ses iris noirs fixèrent la seule survivante.
La pauvre avait
eu la malchance de tomber sur la seule famille qu’il ne fallait surtout pas…
Tous étaient victimes de folie. Ils étaient en réalité des réceptacles, et
entendaient des voix. Beaucoup d’entre eux avaient pour ‘don’ la schizophrénie,
comme les parents de cet enfant. L’on
nommait cette famille Le « Clan maudit » car ils finissaient
tous à l’asile, ou dans leur tombe. Ils devenaient pour la plupart fou à cause
de ces voix.
Pourtant la
famille Skyan, celle de Satlan, s’entendait bien avec Jack et Ellena Follow.
Ils étaient même amis, et ce soir devait être une simple soirée, avec de bons
plats préparés par Ellena. Comme chaque soirée conviviales, les deux hommes
parlaient combat, travail, tandis qu’Ellena et Julia s’expliquaient leur
manière d’éduquer leurs enfants, de tisser, coudre, cuisiner... Seulement voilà. En plein repas, alors que
les femmes criaient à table aux deux enfants manquant, Jack Follow avait baissé
la tête. Il ne disait plus rien, suscitant intrigues et questions de la part
des autres. Ellena ne mit pas longtemps à comprendre, et elle s’était levée en
criant à ses invités de fuir. Mais c’était trop tard, car d’abord secoué de
violents spasmes, l’hôte s’était emparé d’une arme et un rictus sadique s’était
emparé de ses lèvres. Comme possédé, il avait brusquement poussé la table pour
tout renverser sur le coté, puis s’était mit à courir dans la pièce. Passant à
coté d’un berceau, il s’était arrêté, s’était penché, avait observé le bébé à
l’intérieur, un sentiment de désir le rendant plus fou encore. Il avait levé sa
lame, ignorant les cris des autres, puis avait transpercé sans aucune pitié le
minuscule être qui rendit l’âme sans avoir eu l’honneur de découvrir la vie…
_ « Nala, c’est bien ça ? » Demanda le chevalier en toisant la
fillette.
_ « Oui monsieur. » Répondit cette dernière entre deux
reniflements.
L’homme se
tourna, il se dirigea vers la sortie, intimant du regard à sa femme de
s’écarter pour le laisser passer. Puis, avant de descendre les escaliers, il
avait lâché.
_ « Viens. »
La petite se
leva, sous le joug de son nouveau statut d’orpheline, elle suivit l’épée rouge…